Le journaliste et la violation du secret médical
Cet article a été publié dans la revue Droit déontologie & Soin (Vol 12 n°2, pages 152 à 155, juin 2012)
La violation du secret professionnel suppose la divulgation d'une information secrète par une personne tenue au secret professionnel. Celui qui diffuse ensuite l'information ne peut être poursuivi comme receleur que si l'enquête a déterminé qu'un professionnel tenu au secret avait violé la règle.
Le journal L'Equipe publie un article donnant des extraits des bilans sanguins d'un sportif, pour alimenter une démonstration sur le dopage. L'article détaille les chiffres pour l'hématocrite et l'hémoglobine, expliquant qu'il s'agit de valeurs suspectes. Le sportif poursuit le journaliste pour avait utilisé des informations couvertes par le secret médical... et le sportif perd son procès : les informations publiées relevaient bien de la protection du secret, mais pour qu'il y ait violation de la règle, il faut que cette violation ait été le fait d'une personne astreinte à l'obligation au secret. Or, l'auteur initial de la divulgation n'a pas été identifié... Le Code pénal protège la transgression de la confiance, et non pas l'information elle-même. Le sportif aurait pu agir sous l'angle de l'atteinte à la vie privée, mais la voie pénale lui est fermée, comme le rappelle un arrêt incontestable de la Cour de cassation (Cour de cassation, chambre criminelle, 6 mars 2012, n° 11-80801). L'affaire est d'autant plus intéressante que la Cour d'appel de Paris avait retenu l'existence de l'infraction.
1. La cour d'appel de Paris reconnait l'infraction
1.1. Les informations de nature confidentielles
Les données personnelles d'une personne constituées par son bilan sanguin et, en l'espèce, son taux d'hématocrite et d'hémoglobine constituent incontestablement des données médicales au sens de L. 1110-4 du code de la santé publique, qui dispose que le secret médical « couvre sauf dérogations expressément prévues par la loi, l'ensemble des informations, concernant la personne, venues à la connaissance du professionnel de santé ».
De plus, les bilans sanguins sont pratiqués uniquement par des professionnels intervenants dans le système de santé. Or, toute personne prise en charge par un professionnel de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant. Ces informations étaient d'autant plus confidentielles qu'elles étaient susceptibles, par leur teneur, d'entraîner des sanctions professionnelles ou pénales à l'encontre d'un athlète international.
Le sportif n'a pas donné son autorisation pour permettre leur divulgation, et pour la cour d'appel, la violation du secret médical est caractérisée.
1.2. Le recel
Le journaliste soutenait ensuite que ces informations de nature immatérielle échapperaient aux prévisions de l'article 321-1 du code pénal incriminant le recel.
L'article 321-1 du code pénal dispose que « le recel est le fait de détenir ou de transmettre une chose en sachant que cette chose provient d'un délit », mais que « constitue également un recel, le fait en connaissance de cause, de bénéficier par tout moyen du produit d'un délit ».
Or, les données médicales publiées étaient bien, en l'espèce, le produit d'un délit, à savoir la violation du secret professionnel.
L'utilisation, dans le cadre d'un article de presse, d'un document provenant d'une violation du secret médical constitue bien le délit de recel au sens légal du terme et caractérise l'infraction à ce titre. Cette infraction ne peut être justifiée par l'exercice de la liberté de la presse.
1.3. La liberté d'expression
L'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ne saurait, sous couvert de la liberté d'expression, être utilement évoqué pour permettre de contrevenir à la préservation d'informations confidentielles protectrices des libertés fondamentales.
Enfin, plusieurs faits démontrent, sinon l'intention de nuire de la part du prévenu, du moins un parti pris délibéré allant bien au-delà du devoir légitime d'information des lecteurs.
- la recherche d'un entretien avec l'entraîneur de l'athlète deux jours avant l'épreuve olympique du sportif pour lui faire part de ses intentions de publier un article sur des analyses obsolètes, puisque pratiquées plus d'un an auparavant ;
- la référence appuyée et répétée à des cautions scientifiques qui ont, par la suite, contesté les propos que leur a prêtés le prévenu ;
- les nombreux articles du journaliste concernant les soupçons de dopage visant essentiellement ce sportif dont la partialité a même été indirectement soulignée par un autre journaliste ;
- une procédure en diffamation pour des faits proches, sanctionnée par un jugement rendu deux mois avant les faits objets de la présente procédure,
Ainsi, l'infraction de recel de violation du secret médical apparaît caractérisée dans tous ses éléments constitutifs, et comme l'a retenu, le tribunal, M. X... doit être déclaré coupable des faits reprochés.
2. La Cour de cassation conteste l'infraction
2.1. Les moyens en défense du journaliste devant la Cour de cassation
Le recel de violation du secret médical suppose l'existence certaine de l'infraction principale de violation du secret médical. Il résulte de l'article 226-13 du code pénal incriminant l'atteinte au secret professionnel que la révélation d'une information à caractère secret ne peut être commise que par une personne qui, en est dépositaire, soit par état ou par profession, l'article L. 1110-4 du code de la santé publique, mentionnant parmi les débiteurs du secret médical, tous les professionnels intervenant dans le système de santé
En l'espèce, il résulte des propres constatations de la cour que, non seulement, il n'existait au dossier aucun élément susceptible d'établir comment ces informations avaient été obtenues par le journaliste, et plus précisément, s'il les tenait d'un professionnel de santé soumis au secret médical, mais encore que d'autres sources étaient parfaitement possibles, dont
il se déduit que l'existence du délit de violation du secret médical ne pouvait être établie avec certitude.
En déclarant néanmoins le prévenu coupable de recel de violation du secret médical, tout en tenant pour acquis que l'auteur de la divulgation n'a pas été identifié, et qu'il n'était pas exclu que l'information ait pu lui parvenir par une personne non soumise au secret, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations.
* L'absence de connaissance d'une origine frauduleuse
Le recel suppose un élément intentionnel caractérisé par la connaissance chez son auteur de l'origine frauduleuse de la chose qu'il détient. En se bornant à déduire l'élément intentionnel « sinon de l'intention de nuire de la part du prévenu, ou du moins d'un parti pris délibéré allant bien au-delà du devoir légitime d'information des lecteurs », sans même rechercher à établir que le prévenu avait bien connaissance de l'origine frauduleuse des informations litigieuses exposées dans l'article litigieux, la cour d'appel n'a pas légalement caractérisé l'élément moral du délit de recel au sens de l'article 321-1 du code pénal.
2.2. La transgression d'origine restée méconnue
Pour confirmer le jugement, l'arrêt retient que le bilan sanguin d'une personne, qui ne peut être fait que par des professionnels de santé, constitue une donnée à caractère médical protégée par le secret professionnel. Les juges rappellent que toute personne prise en charge par un professionnel de santé a droit au respect de sa vie privée et au secret des informations la concernant, et que la divulgation de ces informations en l'absence de consentement, caractérise la violation du secret professionnel ; qu'ils en déduisent que l'utilisation, dans le cadre d'un article de presse, d'un document comportant ces informations confidentielles et provenant de ce délit, caractérise l'infraction de recel.
Mais en prononçant ainsi, sans caractériser la révélation d'une information à caractère secret par une personne qui en aurait été dépositaire, la cour d'appel n'a pas justifié sa décision.
La chambre criminelle de la Cour de cassation s'était déjà prononcée dans le même sens (18 janvier 2006, n° 05-83352), alors que la patiente d'une clinique se plaignant de la diffusion d'informations médicales la concernant.
Les investigations diligentées par le juge d'instruction n'avaient pas permis d'établir avec un minimum de certitude que des informations relatives à l'état de santé aient été portées à la connaissance de tiers par la commission d'une violation d'un secret médical. Or, à supposer que des données médicales aient bien été diffusées, la procédure doit identifier l'identité de la ou des personnes qui en sont la source, afin de vérifier si le ou les dits informateurs détenaient la qualité requise par l'article 226-13 du Code pénal pour être assujettis au secret professionnel. En effet, faute de caractériser une infraction principale de violation de secret professionnel, il ne saurait être caractérisé à l'égard de quiconque de recel de ladite infraction.
Au final, la solution est classique et très logique. La cour d'appel avait abordé la question sous l'angle de la déduction : dans la mesure où l'infirmation d'origine est médicale, elle n'a pu être transgressée que par un professionnel de santé. Cette déduction ne suffit pas établir la réalité de l'infraction, nécessaire pour que le recel soit constitué.
L'action en justice aurait pu être conduite sur le fondement de l'atteinte à l'intimité de la vie privée, action de nature civile, fondée sur l'article 9 du Code civil : « Chacun a droit au respect de sa vie privée ». Dans ce cadre, les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée, et ces mesures peuvent, s'il y a urgence, être ordonnées en référé. Dans un arrêt du 6 mars 1996 (Bull n° 124, N° 94-11-273) la Cour de cassation a jugé qu'est illicite « toute immixtion arbitraire dans la vie privée d'autrui ».
Le droit au respect de la vie privée est celui qui permet à une personne d'être libre de mener sa propre existence avec le minimum d'ingérences extérieures. Ce droit comporte la protection contre toute atteinte portée au nom, à l'image, à la voix, à l'intimité, à l'honneur et à la réputation, et enfin à l'oubli.
Ainsi, du seul fait de la publication d'éléments relavant des données personnelles, l'action pouvait être engagée.
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